Josée Dumas, directrice de la gestion de l’offre à la SAQ (Photo: courtoisie)
INDUSTRIE DES ALCOOLS. La Société des alcools du Québec (SAQ) compare ses interactions avec les 325 agents d’importation privée (IP) à une relation de couple dans lequel les canaux de communication sont ouverts et les conversations, passionnées. Cependant, leur mariage obligé traverse actuellement une phase délicate marquée par une certaine incompréhension.
Quand un agent d’IP découvre un produit qui l’intéresse, il fait part de ses intentions d’achat à la SAQ, qui passe la commande aux producteurs, gère son transport, sa réception et son entreposage. Les caisses de bouteilles sont ensuite mises en disponibilité pour être revendues par les agents, puis livrées par la SAQ.
À la mi-mars, la politique encadrant ce secteur a été modifiée pour la première fois en une décennie. « À cause du contexte des dernières années, nous avions perdu l’équilibre entre nos ventes et nos inventaires, explique Josée Dumas, directrice de la gestion de l’offre à la SAQ. Nous voulions venir rétablir cet équilibre et assurer une saine gestion et une rotation des stocks. »
La mesure phare consiste en une nouvelle méthode de calcul de la capacité de commande de chaque agent, basée sur les « semaines de stocks » moyennes disponibles au centre de distribution. La cible a été établie à 25 semaines.
Si des représentants de l’industrie ont participé aux discussions ayant mené à l’ajustement de la politique, certains estiment ne pas avoir été bien entendus. « C’est nous qui avons proposé ce mode de calcul, mais l’équation finale est très éloignée de celle que nous avions soumise », se désole Pierre Birlichi, vice-président aux communications du Regroupement des agences spécialisées dans la promotion des importations privées des alcools et des vins (Raspipav).
« Nous ne comprenons pas pourquoi, au lieu de considérer uniquement les produits en entrepôt qui sont prêts à vendre, la SAQ a jugé bon d’ajouter ceux en entrepôt, mais pas encore disponibles [à la vente], ceux qui sont sur les bateaux et ceux pour lesquels nous avons déposé des bons de commande », détaille celui qui représente 60 agences.
Ce à quoi Josée Dumas répond que leur inclusion vise « à éviter le goulot d’étranglement qui pourrait être causé par des agents qui auraient un très faible stock, mais des commandes à outrance ».
Dès qu’une caisse est vendue, un agent peut en commander une autre. Or, le Raspipav évalue qu’actuellement, « plus de 6 agents sur 10 ne sont pas en mesure de commander » de nouveaux produits. Cette proportion s’établissait plutôt à 44 % en date du 30 mai, selon la SAQ. « Les semaines précédentes, c’était 50 %, mentionne la directrice. C’est la preuve que notre politique valorise la vélocité ; les ventes sont en croissance et l’inventaire en baisse. »
« Ce que vivent actuellement certains de nos partenaires d’affaires est difficile, admet-elle, mais il n’y a jamais de bon moment pour faire de tels changements et il fallait agir immédiatement. » Notons qu’en mai 2022, la SAQ a annoncé que son entrepôt d’IP « avait atteint sa pleine capacité ».
Délais anormaux
Le Raspipav déplore également les temps d’attente « excessifs » entre le départ d’une bouteille de chez son producteur et la possibilité de la vendre. « Pour des vins de France ou d’Italie, le délai d’attente raisonnable est entre 13 et 16 semaines, mais actuellement, on est à plus de 25 semaines, illustre Pierre Birlichi. C’est inacceptable que notre argent soit immobilisé par cette chaîne logistique extrêmement lente et que notre capacité d’achat soit limitée par ce que nous ne sommes pas en mesure de vendre. »
La SAQ, qui estime actuellement à 14 semaines le déplacement entre la cave d’un producteur français et le port de Montréal, reconnaît que la période de traitement qui suit — dix semaines — « n’est pas normale ». Mais elle est en voie de raccourcir.
« En juillet, ce qu’on appelle “la file d’attente” va commencer à se résorber. Selon nos projections, en septembre, nous serons revenus à des délais normaux d’entre deux et quatre semaines », avance Josée Dumas. Elle souligne que ce redressement est « une conséquence » de la nouvelle politique des IP, qui fait diminuer le nombre de commandes. « Elle a aussi réduit le goulot d’étranglement du traitement des commandes, qui est passé de trois semaines à trois à cinq jours. »
Plus de ressources
Dans une lettre ouverte publiée mi-mai, le Raspipav presse la SAQ d’adopter « une approche nettement plus productive » et de réinvestir dans les IP « à la hauteur de la contribution » du secteur à ses activités.
Selon les données préliminaires de l’exercice 2022-2023 de la société d’État, les IP ont généré 156 millions de dollars (M$), « ce qui représente 3,9 % des ventes totales et une proportion similaire du résultat net ». Le Raspipav avance plutôt les chiffres de « 186,6 M$ de ventes », soit « 5 % des ventes totales [pour] 10 % des profits ».
Dans tous les cas, le Raspipav souhaite « une gestion efficace accompagnée des ressources nécessaires et suffisantes, qu’elles soient humaines, matérielles ou financières, afin d’accompagner le créneau des IP jusqu’à sa maturité », résume Pierre Birlichi.
Surtout, l’organisme « considère que la médecine appliquée aujourd’hui par la SAQ devrait être extraordinairement temporaire et être abandonnée dès lors que tout sera rentré dans l’ordre ».
Or, tout en reconnaissant que la SAQ « est sensible » au fait que ces changements apportent « leur lot d’inconvénients », Josée Dumas déclare que la nouvelle politique est permanente. « Est-ce que certaines modalités vont être peaufinées ou modifiées ? La réponse c’est probablement oui, mais il faut lui laisser le temps de faire son œuvre et après, on verra », conclut-elle.
Cet article a initialement été publié dans l’édition du 14 juin 2023.