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De la bière au saké, un risque calculé

Benoîte Labrosse|Édition de la mi‑juin 2023

De la bière au saké, un risque calculé

« La SAQ vend à peu près 30 000 caisses de saké par année, mais personne n’en produit ici alors que les gens cherchent de plus en plus l’achat local », souligne Carol Duplain, copropriétaire de la Brasserie Vrooden. (Photo: courtoisie)

INDUSTRIE DES ALCOOLS. « Tannée » par la course à la nouveauté, la Brasserie Vrooden a choisi de cesser sa production de bière l’été dernier. Sans toutefois mettre la clé sous la porte ; ses installations de Granby ont été adaptées aux alcools de riz. Les Affaires a discuté de ce pivot avec l’un de ses propriétaires. 

Au départ, les deux productions cohabitaient chez Vrooden. « Après trois visites en Corée du Sud, j’ai vu une occasion d’affaires dans le makgeolli, un breuvage national qui s’importe très difficilement parce qu’il n’est pas pasteurisé, raconte Carol Duplain. C’est sûr que c’est un risque, mais il est calculé : environ 250 000 Coréens d’origine demeurent au Canada. » 

S’ensuit un long processus de recherche et développement, tant pour les équipements — que l’ingénieur chimique a dû concevoir et faire construire —, qui représentent un investissement d’un demi-million, que pour le savoir-faire et les recettes. De makgeolli, mais aussi de saké. « La SAQ vend à peu près 30 000 caisses de saké par année, mais personne n’en produit ici alors que les gens cherchent de plus en plus l’achat local », souligne-t-il. 

Au moment où la PME vise ces deux marchés vierges, celui de la bière lui apparaît sursaturé. « Depuis 2016, faisait des bières traditionnelles allemandes, mais comme les gens veulent de la nouveauté tout le temps, il fallait aussi des IPA, des sures… Des produits contre nature pour nous, se désole-t-il. On a décidé d’arrêter de se battre. » 

Lui et son associé, Hervé Gagnon, ont aussi choisi de retourner sur le marché du travail, se consacrant désormais au brassage les soirs et fins de semaine. « Ça a énormément fait baisser mon niveau de stress personnel et financier… Surtout quand il y a des délais ! »

 

Course à obstacles 

Baptisé Geonbae — l’équivalent de « tchin-tchin » en coréen —, le makgeolli de Vrooden connaît un certain succès à l’été 2021. « À nos deux premiers mois, on a vendu 2000 bouteilles, estime le brasseur. On était en pleine expansion… jusqu’à la visite de la Régie des alcools, des courses et des jeux (RACJ). » 

Il apprend alors que, contrairement au gouvernement fédéral, les autorités québécoises considèrent que cet alcool, bien que brassé, n’est pas couvert par leur permis. Toute vente doit cesser tant que l’entreprise n’obtient pas celui de fabricant de vin — et se conforme aux règles associées. « On est disparu du marché durant un an et demi, résume-t-il. Ç’a été très très ardu de faire rentrer le makgeolli à la SAQ », légalement devenu son unique distributeur. 

Tout l’inverse de leur premier saké, nommé Sakusei Junmai Ginjo. Accepté « en trois semaines » par la société d’État et annoncé en grande pompe pour avril dernier, il n’est toujours pas offert aux consommateurs. Cette fois, le délai en est un de production. « Nous avons eu un pépin avec le brassin [cuvée], admet Carol Duplain. Nous ne voulions pas entrer sur le marché avec un produit qui n’est pas excellent (top notch), donc on l’a jeté. » La fabrication du saké s’étalant sur près de deux mois, son envoi à la SAQ est prévu début juin. 

« Le saké, c’est notre cheval de bataille au Québec, parce que c’est demandé, précise-t-il. Par la bande, on va faire connaître le makgeolli, un produit plus niché. » Vrooden vise d’ailleurs à l’exporter, d’abord en Ontario et éventuellement dans l’État de New York. 

« C’est un gros marché, nous ne sommes que trois fabricants en Amérique du Nord et nous avons réussi à conquérir l’ambassadeur de Corée du Sud à Ottawa, résume-t-il. On a aussi reçu beaucoup de demandes de gens de Toronto. » Or, la vente sur l’autre rive de la rivière des Outaouais n’est pas possible à court terme, faute de distributeur pour faire le pont avec la Régie des alcools de l’Ontario (LCBO). 

Un délai qui n’inquiète pas outre mesure Vrooden. Pas plus qu’une potentielle compétition québécoise en matière d’alcool de riz. « Je pense qu’on a une longueur d’avance de plusieurs années avant qu’il y ait des produits équivalents aux nôtres, affirme le brasseur. Et je ne vois pas de concurrence avec les spiritueux, parce que le marché est différent et la législation aussi. »