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Des solutions durables et intelligentes à l’horizon

Emilie Laperrière|Publié le 06 janvier 2022

Des solutions durables et intelligentes à l’horizon

Estimateur d'achalandage de la Société de transport de Laval (Photo: STL)

SPÉCIAL INNOVATION. La collecte de données et l’intelligence artificielle peuvent rendre les municipalités plus durables et, oui, plus intelligentes. La preuve en trois exemples.

 

Estimateur d’achalandage et feux de circulation intelligents à Laval

« À la Société de transport de Laval (STL), on est fous de données. » C’est Pierre Lavigueur, directeur exécutif Développement et innovation, qui le dit. La STL s’en sert pour déterminer ses priorités, améliorer ses services et devenir plus efficace, notamment dans la réduction des gaz à effets de serre (GES).

Dans cette optique, la Société a implanté plusieurs innovations, dont deux sortent du lot. L’estimateur d’achalandage, d’abord, permet depuis l’an dernier de savoir combien il y aura d’usagers dans l’autobus à son arrêt et tout le long du trajet. 

« Les autobus sont équipés de compteurs de passagers et les boîtes de perception valident cette information. L’idée d’utiliser ces données pour l’estimateur d’achalandage est venue au printemps 2020, parce qu’on sentait que les gens étaient inquiets de se retrouver dans un autobus bondé », souligne Pierre Lavigueur. 

Les autobus de la STL respectent aussi davantage leur horaire depuis l’implantation de feux prioritaires intelligents sur 90 % de leur territoire. Toute la flotte de véhicules et 232 feux de circulation de Laval sont munis du système TSP (pour Transit Signal Priority), conçu par l’entreprise américaine Global Traffic Technologies. « Il s’agit en fait d’une communication radio entre l’autobus et le feu, explique Pierre Lavigueur. Si l’autobus est en retard, il envoie un signal. Le feu pourra alors prolonger la lumière verte ou la devancer de quelques secondes pour favoriser son passage. » 

Cette technologie permet de réduire le temps de parcours des autobus, qui deviennent moins cher à opérer tout en émettant moins de GES. Les retards moins fréquents pourraient en outre convaincre certains automobilistes d’opter pour le transport en commun.

 

Des puces dans les bacs à Thetford Mines

Depuis le mois de juin, la collecte des déchets, du recyclage et du compost se veut intelligente à Thetford Mines. Dans le cadre d’un projet pilote, les bacs bleus, verts et bruns de 600 résidences et les conteneurs de 30 commerces dans le secteur de Robertsonville sont pourvus d’une puce de radio-identification (RFID), alors que les camions disposent d’un lecteur.

« On veut vérifier comment les citoyens participent à la collecte », explique Daniel Cyr, responsable du volet génie et environnement de cette municipalité de Chaudière-Appalaches. L’opération fournit des données en temps réel sur le nombre de collectes des bacs et les anomalies observées par les conducteurs des camions. 

Thetford Mines pourra se servir des données ainsi récoltées pour améliorer ses services et sensibiliser ses résidents. « Si certains ménages n’utilisent pas le bac brun, on pourra leur envoyer un avis pour leur rappeler de faire le tri », illustre l’ingénieur.

Par le passé, une patrouille verte, composée d’étudiants, passait l’été de maison en maison pour vérifier les bacs et s’assurer qu’ils étaient bien utilisés – un processus « long et pointu », précise Daniel Cyr. « Avec le projet pilote, on verra rapidement si ça vaut la peine d’étendre [le système RFID] sur tout le territoire. » 

En plus de réduire les déchets et de renforcer le recyclage et le compostage, la collecte intelligente devrait réduire les coûts de ramassage et d’enfouissement. 

L’équipe continue à collecter les données afin d’obtenir un échantillonnage représentatif. Elle devrait remettre son rapport à l’administration municipale en 2022.

 

La vidéosurveillance intelligente pour freiner les comportements agressifs

Sans plonger dans la science-fiction, le projet de recherche de Wassim Bouachir se rapproche du film Minority Report, dans lequel il est possible de prévenir les crimes avant qu’ils ne soient commis.

Le professeur agrégé en informatique à l’Université TÉLUQ se penche sur la vidéosurveillance intelligente. « Le but est de développer des systèmes d’intelligence artificielle pour détecter automatiquement les anormalités, une tâche traditionnellement effectuée par des humains », souligne-t-il.

Concrètement, cela signifie que la vidéosurveillance intelligente pourrait notamment détecter en temps réel les comportements suicidaires d’un détenu ou d’un usager du métro. Elle pourrait également signaler des actes agressifs dans un lieu public ou dans un établissement de santé mentale. 

Wassim Bouachir donne aussi en exemple la série d’agressions à l’arme blanche survenue à l’Halloween dans les rues de Québec l’an dernier. « Mes travaux pourraient être appliqués pour prévenir un événement du genre, puisqu’il pourrait être détecté automatiquement », assure le chercheur.

Pour les villes, le principal avantage de cette technologie concerne la sécurité. « Les systèmes actuels sont utilisés après les événements dans le cadre d’une enquête. La vidéosurveillance intelligence agit plutôt comme moyen de prévention », fait-il remarquer.

Ce dernier a obtenu en 2020 une subvention de 132 500 $ sur cinq ans du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada pour mener à bien ce projet. Après deux années de recherche fondamentale, les trois suivantes seront axées sur des applications concrètes. 

 

Les municipalités petites et grandes du Québec se tournent lentement vers les outils de ville intelligente. De Notre-Dame-des-Neiges à Bromont, plusieurs utilisent la plateforme numérique bciti+ pour offrir une multitude de services tout en facilitant le dialogue avec leurs citoyens. Les Affaires s’est entretenu avec Vivianne Gravel, présidente et fondatrice de l’entreprise derrière cet outil, B-CITI Solutions.
Vivianne Gravel n’en est pas à ses premières armes en innovation numérique. L’entrepreneure a d’abord fondé LIPSO, spécialisée dans le développement d’applications mobiles. On lui doit notamment les premières cartes d’embarquement mobiles pour Air Canada, les avis d’urgence dans les universités et l’application pour payer son parcomètre à distance à Montréal.
« Quand les gens me parlaient de l’application pour les parcomètres, ils me disaient que c’était vraiment une belle invention, mais qu’ils devaient télécharger une autre application s’ils allaient à Québec. En les écoutant, j’ai senti qu’il y avait un besoin pour une application multivilles », raconte-t-elle.
Même si LIPSO a été acquis en 2010 par Transcontinental, l’idée a fait son chemin. Six ans plus tard, bciti+ a vu le jour. Ce « système nerveux central de la ville intelligente » permet aux citoyens d’accéder à l’ensemble des services en un seul endroit. Il a été développé en collaboration avec la Ville de Brossard, l’École de technologie supérieure, l’Institut de valorisation des données, pour ne nommer que quelques partenaires. 
Une seule plateforme
Les villes ont l’embarras du choix quand vient le temps d’utiliser ce système propulsé par l’intelligence artificielle. Elles peuvent s’en servir comme Percé, qui a opté pour la carte citoyenne numérique. Celle-ci donne notamment accès gratuitement au Parc de la rivière Émeraude et permet de se prévaloir d’une exemption à la redevance règlementaire. 
Les municipalités peuvent aussi utiliser bciti+ pour informer leur population en situation d’urgence, envoyer des avis sur le déneigement, vérifier la qualité de l’eau, permettre aux gens réserver un terrain de tennis ou de signaler un nid-de-poule.
« Les citoyens ont besoin d’accéder à une multitude de services dans plus d’une ville, rappelle Vivianne Gravel. Parfois en tant que résidents, parfois comme résidents secondaires ou simplement à titre de visiteurs. » Elle donne en exemple un habitant de Brossard, qui peut utiliser la plateforme numérique pour inscrire son enfant à un camp de jour près de chez lui, payer son parcomètre à Sherbrooke pendant qu’il travaille et bénéficier du stationnement gratuit à Magog les fins de semaine. 
En moyenne, plus de 60 % des habitants des municipalités qui l’offrent se servent de la plateforme bciti+. À Brossard, la première à s’être jointe au projet en 2016, le taux d’adhésion grimpe à 90 %.
Mettre en contact villes et citoyens
Pour la présidente de B-CITI Solutions, les villes n’ont plus le choix d’utiliser les données pour prendre de meilleures décisions. « Le portail mobile permet d’obtenir un grand nombre de données, qui sont interprétées par des algorithmes de calculs statistiques, d’intelligence d’affaires ou d’intelligence artificielle, souligne Vivianne Gravel. Celles-ci sont ensuite présentées dans le tableau de bord intelligent des villes. » 
La détentrice d’une maîtrise en droit insiste sur le fait que son équipe de 20 employés travaille avec des universités pour assurer la gestion éthique des données des villes. 
Pendant la pandémie, les municipalités ont saisi l’importance d’être connectées à leurs citoyens, selon elle. « Des villes ont dû gérer des inondations en plus de la COVID-19  ; ça prend absolument un système pour communiquer avec les résidents en cas d’urgence. Les circonstances ont accéléré la transition numérique, constate-t-elle. Et je pense qu’avec notre plateforme, on a une avance d’au moins trois ans à l’échelle mondiale. »
La crise sanitaire a en outre mis en lumière la possibilité d’offrir numériquement des services à ses citoyens. « Aujourd’hui, les gens sont habitués de montrer leur code de vaccination pour aller au restaurant par exemple. Ça démontre qu’ils sont prêts à utiliser ce genre d’outil », illustre-t-elle. 
La plateforme bciti+ coûte de 150 $ à 10 000 $ par mois aux municipalités, selon le nombre de citoyens et le nombre de services intégrés.
Une soixante de municipalités québécoises ont aujourd’hui recours à bciti+. « En 2020, Rogers nous a sélectionnés pour la revendre partout au Canada. On devrait annoncer en janvier prochain notre première ville à l’extérieur de la province », déclare Vivianne Gravel, qui se réjouit que sa plateforme permette d’étendre le concept de ville intelligente aux petites municipalités. Elle espère maintenant doubler son « parc » de villes au pays et au sud de la frontière.