Sylvain Charlebois, directeur du Laboratoire en science analytique agroalimentaire de l’Université Dalhousie, à Halifax (Photo: courtoisie)
TRANSFORMATION ALIMENTAIRE. Les choses ont beaucoup bougé dans le monde du fromage cet été : nouvelle usine Babybel à Sorel, vente en ligne au grand public chez Saputo et rachat de la fromagerie Le Baluchon. Portrait des mouvements dans le secteur, et survol des tendances de fond qui les accompagnent.
Avec la COVID-19, la plupart des industries ont pivoté vers la vente en ligne. Le fromage n’a pas fait exception. Saputo a par exemple commencé à vendre ses différents produits fromagers directement au consommateur au moyen d’un nouveau site web. Une initiative qui pourrait être imitée par le reste de l’industrie.
« J’ai parlé à beaucoup d’entreprises, et il y a de l’intérêt. Avec la pandémie, l’accès au consommateur se démocratise, alors j’ai l’impression qu’on verra plusieurs entreprises se lancer dans la vente web au grand public », affirme Sylvain Charlebois, directeur du Laboratoire en science analytique agroalimentaire de l’Université Dalhousie, à Halifax.
Un autre facteur motivant est celui des tensions qui règnent entre les transformateurs et les détaillants, qui leur imposent des conditions jugées désavantageuses. À la fin octobre, par exemple, Loblaw annonçait à ses fournisseurs qu’elle les assujettirait à certains frais supplémentaires. Walmart Canada et Metro ont fait des annonces similaires au cours des derniers mois.
Sobeys, pour sa part, a indiqué qu’elle n’augmenterait pas unilatéralement les frais des fournisseurs. Reste que dans un tel contexte de tension, qui dure depuis quelques années déjà, « c’est sûr que des entreprises comme Kellogg’s, Parmalat et Agropur se demandent si elles devraient vendre en ligne », souligne Sylvain Charlebois.
Il reconnaît toutefois que l’industrie fromagère – et les autres transformateurs alimentaires qui voudraient faire pareil – devra mettre l’épaule à la roue, car le B2C n’est pas leur B2B habituel. À ce sujet, le chercheur note que si ces entreprises veulent faire des premiers pas concluants en commerce électronique, elles auront du travail à faire, notamment sur le plan de l’image.
« À date, ce que j’ai vu, c’est qu’il y a peu d’entreprises qui font un travail suffisamment raffiné en ce qui a trait au marketing et à leurs interfaces de commerce électronique. »
Favoriser le local
Le lancement annoncé le 6 août dernier de la production des Mini Babybel à Sorel est peut-être signe de changements à venir dans cette industrie, estime Charles Langlois, PDG du Conseil des industriels laitiers du Québec (CILQ). « À mon avis, c’est un projet lancé en réaction aux tendances de consommation locale qui s’observent depuis quelques années. »
Il note qu’un produit fabriqué localement avec du lait canadien fait meilleure presse et donne une meilleure perception au consommateur qu’un produit importé. « Le marché de Babybel est assez développé au Canada, alors l’entreprise était mûre pour s’installer ici en lançant son usine », croit le PDG.
L’usine, dont la construction a demandé des investissements de 87,5 millions de dollars, vise à répondre à la demande du marché canadien et à fabriquer localement des fromages qui étaient jusqu’ici importés des États-Unis et de la France. Plus de 150 millions de Mini Babybel seront produits chaque année dans ces installations de 70 000 pieds carrés. Selon l’entreprise, ce projet devait créer 140 emplois.
En août, les médias ont rapporté que la fromagerie L’Ancêtre, à Bécancour, venait de faire l’acquisition de la fromagerie Le Baluchon de Sainte-Anne-de-la-Pérade. « Cette dernière vivotait depuis quelques années », raconte Charles Langlois. Cette transaction pourrait, elle aussi, être signe des choses à venir dans l’industrie.
En effet, la plus grande préoccupation du secteur, fait valoir le PDG du CILQ, demeure celle d’une consolidation forcée par l’accroissement des importations. Selon Charles Langlois, l’entrée en vigueur de différents traités, comme l’Accord de partenariat transpacifique, l’accord de libre-échange Canada-Europe et l’Accord Canada-États-Unis-Mexique, viendra à terme miner l’industrie fromagère locale.
« Pour l’instant, il n’y a pas de mouvement lié à cette réalité, mais on anticipe que l’augmentation des importations pourrait forcer l’industrie à se réorganiser », précise celui qui craint en outre de voir des entreprises locales disparaître.
C’est que si les traités sont entrés en vigueur au cours des dernières années, ils prévoient une augmentation graduelle des importations de fromage avec le temps. « Les impacts pourraient commencer à se manifester au cours des années qui viennent, explique Charles Langlois. C’est là où on va voir si ces changements vont venir déstructurer notre industrie. »