Oui, les groupes et les concours réservés aux femmes ont encore leur raison d’être
Camille Robillard|Mis à jour le 26 septembre 2024Les groupes réservés aux femmes agissent en levier en favorisant un sentiment de sécurité entre les membres et en développant un sentiment d’appartenance et une estime de soi. (Photo: Adobe Stock)
LA BOÎTE À EDI. Les publications de Megan Lynch et d’Élisabeth Abbatiello sur LinkedIn qui remettent en question les groupes et les concours réservés aux entrepreneuses ont suscité de nombreuses réactions. Applaudis par certaines personnes et critiqués par d’autres, les propos des deux femmes d’affaires ont certainement réanimé le débat sur la légitimité de ces espaces.
«Je ne sais pas si c’est à cause que j’ai grandi avec 3 grands frères, mais je trouve que ça rabaisse un peu, écrivait Élisabeth Abbatiello, associée et VP communications et rayonnement du Groupe Abbatiello, copropriétaire de Pizza Salvatoré et experte invitée pour Les Affaires. Dans la vie de tous les jours, les hommes et les femmes ne sont pas catégorisés; on travaille ensemble et on compétitionne ensemble dans le monde des affaires. Il existe beaucoup de concours pour les femmes en affaires et je me suis souvent fait approcher, mais j’ai toujours refusé. Je trouve dénigrant de penser qu’on n’est pas comparable aux hommes.»
Quelques jours plus tard, c’était au tour de Megan Lynch, fondatrice et avocate d’affaires chez Lynch Légal, d’ouvrir le débat. «Je suis vraiment mitigée à propos des groupes et concours de femmes entrepreneures. Oui, la différence est là: les femmes et les hommes en affaire ne sont PAS traités de la même façon. […] Mais en même temps, je me demande si en créant ces groupes et concours réservés aux femmes… nous ne sommes pas en train de creuser notre propre tombe.»
En entrevue avec Les Affaires, l’avocate soutient qu’elle comprend totalement la raison d’être de ces groupes. Elle pense toutefois que c’est important de prendre un pas de recul et de se demander si ces espaces ont réellement l’effet désiré. «J’ai l’impression qu’on crée nous-même ce qu’on ne voudrait pas se faire faire. Dans le sens où s’il y avait des concours réservés aux hommes entrepreneurs, les femmes seraient les premières à crier que c’est inacceptable.»
Celle qui s’étiquette comme féministe insiste sur le message «d’empowerment» qu’elle veut envoyer. «Je sais que les femmes sont incroyables et je suis convaincue qu’elles sont capables de compétitionner contre les hommes. Ne nous tirons pas dans le pied en s’isolant.»
Se rassembler pour se solidariser
Les groupes réservés aux femmes agissent en levier en favorisant un sentiment de sécurité entre les membres et en développant un sentiment d’appartenance et une estime de soi, soutient Marie-Andrée Gauthier, coordonnatrice générale du Réseau des tables régionales de groupes de femmes du Québec. «Ces milieux nous permettent de prendre la parole plus librement et de prendre conscience de certaines inégalités que les femmes rencontrent encore en 2024.»
Parce qu’il est évident que l’on vit dans une société où perdure le mythe de l’égalité atteinte, autant pour la coordonnatrice que l’entrepreneuse Tatiana St-Louis. «Ce n’est pas vrai qu’on vit dans une méritocratie parfaite, où chacun a le même nombre de chances de réussite, où il y a une égalité inhérente», souligne la fondatrice d’Aime ta marque.
Marie-André Gauthier cite notamment le concours Chapeau, les filles!, présenté par le gouvernement du Québec, et son volet Excelle Science qui visent à donner un coup de pouce financier aux femmes qui se dirigent vers l’exercice de métiers majoritairement masculins. «Ces espaces privilégient la non-mixité pour reprendre pouvoir sur une situation qui est inégalitaire.»
Aux personnes qui affirment qu’au contraire ces espaces accentuent les inégalités et le clivage entre les hommes et les femmes, Tatiana St-Louis répond que c’est vouloir minimiser et effacer les réalités alternatives. «C’est comme si tout le monde compétitionnait dans la même catégorie aux Olympiques.»
«Qui sont ces personnes? Quels sont leurs privilèges? C’est important de partir de ce point de vue situé», ajoute Marie-Andrée Gauthier, qui voit mal comment certaines personnes peuvent nier les besoins de rassemblement de certains groupes.
Selon cette dernière, ces espaces ne sont pas obligés de perdurer. «L’idée n’est pas de fonctionner en vase clos, mais plutôt de se dire que ponctuellement, on a le besoin de se rassembler pour pouvoir par la suite mieux vivre ensemble.»