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Donnez de la valeur aux personnes très grosses

Camille Robillard|Mis à jour le 13 juin 2024

Donnez de la valeur aux personnes très grosses

L’organisme Équilibre a développé un coffret de 28 images gratuites — photographiées par Julie Artacho — pour présenter la diversité corporelle de manière positive et sans stéréotypes. (Photo: © ÉquiLibre)

Les mots équité, diversité et inclusion vous donnent le tournis? Vous vous demandez comment incarner ces valeurs, au-delà des techniques de marketing? La boîte à EDI s’invite dans les discussions pour que vos équipes soient réellement à l’image de notre société.


LA BOÎTE À EDI. Les entreprises qui misent sur la représentation dans leurs communications auraient un avantage concurrentiel, selon les expertes interrogées par Les Affaires. Cependant, il existe encore plusieurs barrières pour que chaque individu qui compose notre société se sente vu et considéré. 

«De nos jours, les gens choisissent des marques qui les interpellent», soutient Ingrid Enriquez-Donissaint, cofondatrice de l’agence Pré&ent et planificatrice stratégique séniore à son compte. Les valeurs, les convictions et les pratiques que les entreprises mettent de l’avant sont donc essentielles pour attirer la main-d’œuvre — notamment les jeunes — et la clientèle.

La photographe Julie Artacho, connue notamment pour ses portraits de corps gros, abonde dans le même sens. Selon elle, si une marque de savon met des gens de la diversité de l’avant, elle aura assurément un avantage compétitif vis-à-vis une marque de savon qui ne présente que des corps «standards».

Toutefois, elle observe un contrecoup important à la positivité corporelle avec la montée en popularité de l’industrie «pro santé». «Je crois que certaines entreprises n’ont pas envie de s’associer à des personnes grosses, car ce n’est pas une clientèle qu’elle recherche, souligne Julie Artacho. Et celles qui s’y aventurent choisissent souvent une diversité qui est acceptable [pour le public]. On voit rarement des personnes avec la peau très foncée ou très grosse.»

Pré&ent a conçu une collection d’images qui reflète l’ensemble de la société canadienne. (Photo: presentpresent.ca)

Laurence Pasteels, cofondatrice de Pré&ent et directrice créative à Moment Factory, remarque cette même tendance dans l’univers de la publicité. «J’ai rarement vu des couples, par exemple, purement asiatiques ou purement noirs. On voit des couples mixés, parce que je pense que c’est plus facile [à intégrer] dans la réalité des gens.»

 

Des initiatives porteuses

«C’est triste, mais je n’ai rien qui me vienne en tête rapidement», répond après une longue pause la photographe Julie Artacho lorsqu’on lui demande si elle a des exemples d’initiatives récentes d’agences marketing ou publicitaires dans lesquelles elle s’est sentie représentée.

Heureusement, certaines organisations ont mis en place des initiatives pour accompagner les entreprises désireuses d’être plus diversifiées dans leurs communications marketing.

C’est notamment le cas de Pré&ent. En plus d’avoir conçu une collection d’images qui vise progressivement à refléter l’ensemble de la société canadienne, elle accompagne les entreprises dans le développement de leurs campagnes de communication et offre une série d’ateliers pour démystifier les biais inconscients et créer un «éveil de sensibilisation» auprès des responsables.

«Les communications, ça va vite, dit Laurence Pasteels. Ce n’est pas évident de mettre un pied sur le frein à certains moments pour se poser les bonnes questions. Ce n’est pas inné ni encouragé par les entreprises.»

L’organisme Équilibre a également développé un coffret de 28 images gratuites — photographiées par Julie Artacho — pour présenter la diversité corporelle de manière positive et sans stéréotypes.

Néanmoins, il reste beaucoup de travail à faire, selon la photographe. «Si on veut voir plus de personnes grosses dans les médias, il faut pouvoir les habiller. Pour les habiller, il faut qu’on leur donne de la valeur, et pour qu’on leur donne de la valeur, il faut qu’elles soient vues dans les médias.»

Elle invite d’ailleurs les entreprises à prendre des risques et à accepter la critique. «Elles ont tellement peur de faire des erreurs, qu’elles se braquent et continuent d’opter pour des concepts classiques. Mais si tu as si peur, il existe plein de gens militants de la diversité corporelle, de l’identité de genre ou contre le racisme qui vont être très contents d’être engagés comme consultants.»

 

Attention avec l’IA

À la fin mars, Julie Artacho a publié sur son compte Instagram une expérience qu’elle a menée sur Imagine Art, une plateforme d’intelligence artificielle (IA), alors qu’elle était curieuse de savoir comment les personnes grosses étaient représentées par l’IA. «Je me doutais que ça ne serait sûrement pas de manière très glorieuse», souligne-t-elle.

En essayant des mots-clés tels que «grosses femmes qui mangent sur une terrasse en Italie» ou «grosse femme qui fait du sport», les résultats étaient évocateurs: les assiettes se sont multipliées sur la table et les images sont devenues des illustrations plutôt que des photographies. «Ça prouve qu’il manque incroyablement de représentation positive dans les médias en général [desquels se nourrit l’intelligence artificielle]», soutient l’activiste.

Laurence Pasteels met également les entreprises en garde contre les dérives de l’IA. «Les organisations sont souvent prises dans le triangle qualité, rapidité et prix. [Il faut faire attention avec l’IA parce que] ça permet de réinventer des physiques ethniques et culturelles à partir de biais complètement faux.»

D’autant plus que les logiciels sont souvent bien meilleurs en anglais qu’en français, ajoute Ingrid Enriquez-Donissaint. «La machine te redonne ce qu’elle a appris d’un nombre très limité d’humains. Ça aussi, ça peut nuire à la représentation.»