Dans son combat contre le dragon de l’inflation, la question est de savoir si la banque centrale américaine aura le courage de ses ambitions ou si elle capitulera dès que celui-ci se montrera difficile. (Photo: Getty Images)
BLOGUE INVITÉ. La semaine dernière s’est déroulé le Jackson Hole Economic Symposium. Parmi tous les banquiers centraux qui y participaient, un seul a monopolisé l’attention de tous, soit le président de la Réserve fédérale américaine (Fed), Jerome Powell. Dans ce discours annuel, ce dernier a partagé sa vision de l’économie américaine et ses prévisions quant à l’évolution de celle-ci.
Chaque année, les économistes, analystes et investisseurs du monde entier suivent ce discours religieusement et établissent leurs propres projections économiques à partir de celui-ci. Cependant, la Fed détient un piètre bilan que ce soit à l’égard de sa lecture de l’économie ou de ses prévisions économiques. À cet effet, les deux derniers discours livrés par Powell à l’été 2020 et 2021 sont sans équivoque.
En août 2020, alors que le monde se remettait de la première vague de la pandémie de COVID-19, Powell a évoqué les nouveaux défis de la banque centrale américaine dans la gestion de sa politique monétaire.
En raison du déclin de la croissance de l’économie américaine; de la baisse du niveau général des taux d’intérêt; de la solidité du marché de l’emploi; et de l’absence d’inflation dans l’économie; la Fed jugeait que le risque de déflation, soit une baisse constante du niveau des prix, était le plus grand péril qui menaçait l’économie américaine.
C’est d’ailleurs ce qui a poussé la Fed à revoir la façon dont elle gérait sa politique monétaire en passant d’une cible fixe à une cible moyenne d’inflation à 2%. Cet ajustement allait permettre à la Fed de dépasser sa cible d’inflation pour éviter que les anticipations des ménages tombent sous les 2%. En introduisant cette modification, la Fed a tout de même pris soin de spécifier que si l’inflation dépassait sa cible de 2% de façon excessive ou que les anticipations des ménages se désencraient de celle-ci, elle n’hésiterait pas à intervenir pour ramener le tout à l’équilibre.
Un an plus tard, en août 2021, Powell a livré un discours centré sur les efforts déployés par la Fed, afin de remplir son mandat d’inflation et de plein emploi. Déjà, la surchauffe était bien installée dans le marché de l’emploi américain, alors que les employeurs, tels que rapportés par Powell, n’étaient pas en mesure de combler leurs besoins en main-d’œuvre pour répondre à la demande des consommateurs.
Par ailleurs, l’émergence de l’inflation était bien réelle. Elle était alors à 5,3% sur une base annuelle. Bien que Powell ait relevé que ce niveau d’inflation était source de soucis, il s’est tout de suite empressé de tempérer le tout en affirmant qu’il y avait de bonnes raisons de croire que cette inflation élevée était «transitoire».
Force est de constater que la lecture de l’économie américaine par la Fed à l’été 2021 était aussi erronée qu’elle le fut en 2020. Non seulement la déflation anticipée à l’été 2020 ne s’est jamais manifestée, mais l’inflation qualifiée de «transitoire» l’été suivant s’est avérée généralisée et durable.
De plus, l’assurance avec laquelle la Fed se disait prête à intervenir advenant le cas où l’inflation s’emballait ne s’est pas traduite par des actions concrètes lorsque le scénario hypothétique de 2020 est devenu réalité. Au contraire, la banque centrale s’est obstinée à qualifier l’inflation de «transitoire» bien trop longtemps retardant ainsi l’introduction de mesures visant à ralentir l’économie et la progression de l’inflation.
Alors que faire de ce que nous a communiqué Powell lors de l’édition 2022 du Jackson Hole Symposium?
Combattre en cassant des oeufs
La banque centrale américaine semble maintenant déterminée à combattre l’inflation. Du moins, c’est ce qui transparait du discours livré par Powell la semaine dernière. Le président de la Fed a reconnu que son combat contre l’inflation ne se fera pas sans casser des œufs. Les taux d’intérêt plus élevés causeront des difficultés aux entreprises et aux ménages américains, la croissance économique ralentira et le chômage augmentera.
Il s’agit d’une admission indirecte que le scénario initial de la Fed voulant que l’économie atterrisse tout en douceur, malgré le resserrement agressif de la politique monétaire, est de plus en plus improbable. En affirmant vouloir continuer son combat contre l’inflation jusqu’à ce que la victoire s’en suive, Powell, sous son masque de Paul Volcker, peine à s’imprégner de la franchise et de la transparence de l’homme qui a su vaincre le dragon de l’inflation au début des années 1980. En effet, si la Fed passe réellement de la parole aux actes et que sa volonté de vaincre l’inflation finit par se concrétiser, elle risque de créer beaucoup plus de dommage à l’économie américaine qu’elle veut bien l’avouer.
Dans son combat contre le dragon de l’inflation, la question est de savoir si la banque centrale américaine aura le courage de ses ambitions ou si elle capitulera dès que celui-ci se montrera difficile. L’an prochain seulement pourrons-nous regarder dans le rétroviseur et jauger le niveau d’inexactitude présent dans les propos du Président de la Fed.