Alors que nous sommes en pleine campagne électorale, peut-on espérer qu’un chef politique aura le courage d’annoncer qu’ici aussi, la fête est finie, et que pour survivre, notre société devra réexaminer ses façons de consommer? (Photo: 123RF)
BILLET. «Les ménages et les entreprises vont souffrir.» Cette mise en garde nous vient directement du grand patron de la Fed, Jerome Powell, bien décidé à utiliser tous les outils à sa disposition pour lutter contre l’inflation, même si la conséquence est une contraction de l’économie.
La pénurie de main-d’œuvre et les problèmes d’approvisionnement donnaient déjà des insomnies aux chefs d’entreprise, et voilà que l’inflation et le spectre d’une récession viennent également hanter leurs nuits. Il est difficile de se battre contre des phénomènes macroéconomiques qu’on ne peut contrôler. Cependant, à Les Affaires, nous croyons que l’information est la meilleure arme pour se défendre. C’est pourquoi la rédaction s’est mobilisée pour offrir des outils non seulement aux entrepreneurs, mais aussi aux investisseurs. Notre objectif ? Les aider à se préparer au ralentissement qui s’en vient, pour qu’ils n’en subissent pas les conséquences de plein fouet.
J’aimerais cependant en profiter pour aller plus loin et ouvrir une brèche dans votre réflexion, quitte à jeter un pavé dans la mare. Serait-il possible de voir ce ralentissement forcé comme l’occasion rêvée de réévaluer notre quête forcenée de croissance exponentielle ? Après tout, la récession, par définition, c’est simplement deux trimestres consécutifs sans croissance. Et si l’on repensait notre façon de calculer la création de richesse ? Comme média d’affaires, nous avons aussi un rôle à jouer en arrêtant de la glorifier et de la présenter comme le seul signe incontestable de la réussite. Nous pourrions nous efforcer de valoriser davantage d’autres indicateurs, comme le bonheur des employés, la carboneutralité ou l’apport à la collectivité, même s’ils sont plus difficiles à mesurer.
Après tout, le rapport Meadows, «Les limites à la croissance (dans un monde fini)», fête ses 50 ans cette année et la mise en garde qu’il contient semble plus urgente que jamais. Nous subissons des phénomènes météorologiques toujours plus violents, comme si la planète se rebellait contre les abus que nous lui faisons subir. Le tiers du Pakistan est actuellement sous l’eau. Cet été, de nombreux pays ont connu des records de chaleur au point de devoir composer avec des pénuries d’eau. Désormais, la sécheresse menace les récoltes de l’automne, ce qui devrait générer une nouvelle augmentation du prix des aliments de première nécessité. En Europe, durement affectée par une crise énergétique liée aux coupures de gaz de la Russie, la rentrée s’est déroulée sous le signe de l’austérité. En France, la première ministre est allée jusqu’à prévenir les entreprises: des mesures de rationnement d’énergie pourraient leur être imposées cet hiver si leurs efforts de sobriété n’étaient pas suffisants. Le ton est donné.
Alors que nous sommes en pleine campagne électorale, peut-on espérer qu’un chef politique aura le courage d’annoncer qu’ici aussi, la fête est finie, et que pour survivre, notre société devra réexaminer ses façons de consommer ? C’est difficile à imaginer ; ce serait pourtant indispensable. La lutte aux changements climatiques est sans contredit l’enjeu du 21e siècle. Plutôt que de continuer à se fixer des objectifs lointains, il serait temps de s’y attaquer maintenant et de mettre en œuvre des solutions massives, à la hauteur du défi qui nous attend collectivement.
Que nous le voulions ou non, c’est la fin d’une ère. Plutôt que de s’en attrister, nous pourrions y voir une formidable occasion de repenser un modèle de société à bout de souffle où tout nous pousse à consommer, sans que cela ne réussisse jamais à nous combler. Évidemment, dans cette transition, les entreprises ont un rôle crucial à jouer. Elles ont le choix de participer à imaginer ce changement, plutôt que de se le faire imposer. Celui-ci finira inévitablement par arriver, ce n’est qu’une question de temps.
La fête est finie certes, mais l’after party est plein de promesses. Serez-vous de la partie?
Marine Thomas
Rédactrice en chef, Les Affaires
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@marinethomas