Les véhicules électriques de Vidéotron, l’occasion ratée de PKP
Alain McKenna|Publié le 15 janvier 2020(Photo: Alain McKenna/Les Affaires)
Un homme d’affaires à la tête d’un empire tentaculaire peut parfois ne pas voir ce qui se trouve directement devant lui. Ou alors, peut-être que l’occasion en or n’en est-elle pas réellement une, quand on y regarde de plus près.
Toujours est-il qu’en annonçant les plans de Vidéotron et de TVA d’électrifier la totalité de leur parc de véhicules, plus tôt ce mercredi, le grand patron de Québecor, Pierre-Karl Péladeau, n’a pas manqué de rappeler la longue tradition écolo de son empire médiatique. Quand il cite des gestes posés par Donahue et par son défunt père pour miser davantage sur les matières recyclées, entre autres, on sent que c’est parce que cet héritage vient de loin.
Dans le contexte, apprendre que Vidéotron déboursera une somme annoncée de 14 millions de dollars afin de convertir ou remplacer les plus petits de ses quelque 900 véhicules en circulation partout dans la province, n’est pas vraiment surprenant. Louable, certes, surtout que le câblodistributeur devient le premier joueur de son secteur à procéder de la sorte. Ça représente environ les trois quarts de tous les véhicules employés par Québecor.
L’entreprise québécoise joint du même souffle les rangs de Propulsion Québec, un organisme provincial qui l’aidera à obtenir une aide financière de Québec qui n’émeut pas plus que ça M. Péladeau, celui-là même qui a récemment traité ses concurrents aux poches moins profondes de «quêteux», car ils ont eu le malheur… de demander eux aussi de l’aide gouvernementale. Pour leur survie, plutôt que pour leur parc automobile. Nuance.
On verra si l’aide de Québec atteindra les 5 millions $ avancés par La Presse, quelques heures avant la conférence. Mais peu importe, quand il y a de l’argent sur la table, mieux vaut s’en servir que de le laisser moisir… «Les programmes et les enveloppes sont déjà là. Notre rôle c’est un peu de s’assurer que l’argent soit pleinement utilisé», opine Sarah Houde, la présidente de Propulsion Québec, à juste titre. Celle-ci espère que cette annonce aura un effet boule de neige auprès des entreprises ailleurs au Québec.
Coup de pouce à l’industrie électromobile québécoise
Il y a quelques années, Québecor a mis en place le programme de Bourses Pierre Péladeau, qui vise à aider l’entrepreneuriat local. Deux récipiendaires de ces bourses étaient présents, lors de l’annonce de Vidéotron, pour ajouter du poids à l’événement.
RVÉ, de Laval, conçoit des systèmes de recharge pour véhicules électriques pouvant être intégrés aux édifices à logements multiples. Qu’il s’agisse de duplex, triplex, ou de complexes locatifs plus importants, RVÉ a des solutions pour tous les contextes, et souhaiterait davantage d’aide publique pour faciliter sa tâche.
Effenco a pour sa part mis au point une technologie d’accumulateur permettant rapidement, simplement et à moindre coût de transformer le moteur d’un véhicule lourd en moteur hybride.
Une troisième petite entreprise québécoise était présente dans les studios de MELS, la filiale de production cinématographique où Québecor a tenu sa conférence de presse. Il s’agit du préparateur Ecotuned, qui convertit des véhicules commerciaux légers, des camionnettes et des panels, surtout, en véhicules électriques. Pierre Gladu, chargé des relations d’affaires pour Ecotuned, explique que l’entente avec Vidéotron donne tout un coup de main à son entreprise, qui a une capacité de conversion de quelque 1000 véhicules par an, à son usine de Varennes.
Ecotuned convertira les petits camions Ford de Vidéotron, qui s’ajouteront aux Nissan Leaf et Kia Soul EV qu’achètera par ailleurs le câblodistributeur. Du côté de TVA, qui fait aussi partie de l’annonce, on a pu voir un Mitsubishi Outlander PHEV sur scène, un VUS hybride branchable qui peut parcourir quelque 35 kilomètres par charge, avant de lancer sa cylindrée à essence. Ça semble compléter le catalogue pour le groupe montréalais.
L’occasion ratée?
Pour s’assurer que tout ça tourne rondement, il faudra évidemment installer des bornes de recharge dans les garages, chose que compte bien faire Québecor. Ça va aussi prendre une gestion un peu plus serrée de l’effectif roulant, car les gens qui ont déjà eu à le faire vous le diront, ce n’est pas comme gérer des véhicules à essence.
Pour ça, il existe des outils logiciels conçus sur mesure. Un des meilleurs était probablement celui qui donnait toute sa valeur à Téo Taxi, propriété de Taxelco, il y a quelques années. Le même Taxelco qui appartient désormais à Pierre-Karl Péladeau, via son propre fonds d’investissement, Placement Saint-Jérôme.
Lorsque questionné sur la possibilité de laisser TVA et Vidéotron emprunter les outils de gestion de Taxelco, M. Péladeau a répondu ceci: «merci, vous me l’apprenez!», ce qui ne manque pas d’étonner, venant d’un homme d’affaires et investisseur parmi les plus en vue de la province.
On se demande maintenant s’il est au courant que les gens qui ont créé ce logiciel ont à peu près tous été débauchés, le printemps dernier, par une société irlandaise appelée iCabbi. On ne voudrait pas être celui qui lui fera l’annonce de cette nouvelle. Mais peut-être existe-t-il une aide gouvernementale qui aidera à recréer de zéro cette expertise directement chez Québecor?
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MISE À JOUR (19h15): Frédéric Prégent, directeur général de Taxelco, nous a contacté pour réagir à la publication de ce texte et apporter quelques précisions. D’abord, les outils logiciels créés par son entreprise ont été développés spécifiquement pour un parc de taxis, et ne conviendraient pas à un contexte de véhicules commerciaux comme celui de Vidéotron sans quelques révisions. La plupart des gens ayant créé ce logiciel sont aujourd’hui à l’emploi d’iCabbi, et ont changé d’employeur avant l’entrée en scène de M. Péladeau, mais iCabbi est aujourd’hui partenaire de Taxelco, en vue d’une relance de Téo Taxi ce printemps.
Enfin, tout cet imbroglio tient à l’interprétation qu’on fait de la réponse de M. Péladeau à la question qui lui a été posée sur les affinités potentielles entre les deux entreprises qu’il dirige. M. Prégent soutient que son ton était blagueur, voire ironique, signifiant en quelque sorte l’opposé de ce qu’on a pu comprendre au moment de la conférence. C’est extrêmement discutable, alors suggérons simplement qu’une réponse plus directe aurait jeté un éclairage différent sur cette affaire, même si, à la fin, le constat est le même : le potentiel de maillage entre ces différentes entreprises demeure fort intéressant pour l’avenir du transport commercial électrifié. – A. McKenna
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