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Vos employés neurodivergents n’ont pas de superpouvoir

Camille Robillard|Mis à jour le 13 juin 2024

Vos employés neurodivergents n’ont pas de superpouvoir

Mélissa St-Louis et Fran Delhoume, cofondatrices de Nüense (Photo: courtoisie)

Les mots équité, diversité et inclusion vous donnent le tournis? Vous vous demandez comment incarner ces valeurs, au-delà des techniques de marketing? La boîte à EDI s’invite dans les discussions pour que vos équipes soient réellement à l’image de notre société.


LA BOÎTE À EDI. Les personnes neurodivergentes peuvent représenter des atouts pour votre entreprise, en l’aidant notamment à sortir des sentiers battus. Fran Delhoume, cofondatrice de Nüense, modère toutefois les attentes : «Elles n’ont pas de superpouvoirs. Ces forces, une personne neuroatypique peut les avoir ou pas, mais ça prend surtout un milieu de travail propice à leur déploiement.»

On dit souvent des personnes TDAH qu’elles sont très créatives. Chez les personnes autistes, on reconnait leur mémoire impressionnante, leur sens du détail et leur grande expertise autour de leurs intérêts et de leurs passions. De leur côté, les profils DYS+ (dyslexie, dyscalculie, dyspraxie, dysorthographie, etc.) se distinguent par leur bonne capacité visuospatiale. «Mais encore faut-il leur donner de la place, insiste celle qui s’identifie comme neuroqueer et qui préfère taire son diagnostic. Les entreprises adorent l’innovation, mais encore plus ce qui a toujours été fait comme ça.» 

Parmi les aspects qui sont rarement remis en question par les entreprises — et qui créent des barrières à l’embauche pour les profils neuroatypiques — on retrouve le recrutement. «C’est une activité performative, souligne Mélissa St-Louis, codirigeante de Nüense, qui a reçu un diagnostic tardif. Les compétences de vente ne sont pas nécessairement associées aux compétences requises pour le poste à combler. Est-ce que les personnes neurodivergentes seront désavantagées parce qu’elles n’ont pas ces aptitudes à se vendre ou parce qu’elles ne sont pas capables de répondre de façon très linéaire à une question?» 

Fondée en 2023, Nüense est une entreprise de formation et de service-conseil en neuroinclusion par l’entremise des principes d’accessibilité et d’inclusion universels. Une des solutions qu’elle offre pour rendre le recrutement plus inclusif est d’envoyer les questions d’entrevue à l’avance. Cette mesure est souvent rejetée par les employeurs. L’argument principal du rejet? La personne pourrait tricher. «Comment une personne fait pour tricher sur sa propre expérience?», s’interroge Mélissa St-Louis. Pour celle qui cumule plus d’une dizaine d’années d’expérience en développement organisationnel, si on accorde aux candidats le temps de se préparer, ils seront assurément plus confiants dans leur entrevue. L’employeur aura aussi accès aux meilleures réponses pour refléter les qualités des employés potentiels. 

D’ailleurs, en ramenant la conversation sur les compétences, l’employeur fait une pierre deux coups, estime Fran Delhoume, qui a un bagage en psychoéducation et en intervention. «Si j’évalue réellement les compétences et que je fais attention aux évaluations neuronormatives, je risque d’être moins biaisé vis-à-vis les attentes de genre, de rôle et de race. On connaît le code switching chez les personnes racisées lorsqu’elles décident de s’habiller, de parler et de se comporter différemment pour entrer dans le moule. Le risque est le même chez les personnes neurodivergentes qui peuvent se camoufler.»

 

Garder ou enlever le masque?

Fran Delhoume parle par expérience: garder son masque, c’est épuisant. «L’énergie que je consacre à camoufler, à masquer, à modifier ma façon de me comporter, je ne l’ai pas pour autre chose.» 

Cependant, enlever le masque demande également de se mettre dans un état de vulnérabilité «extrême». Ça se fait petit à petit, au rythme de la personne et ça exige surtout une très grande réflexion. «Quand l’enlever? Jusqu’où? Est-ce que je vais perdre des clients?», énumère Mélissa St-Louis. 

Le sentiment de ne jamais «fitter» dans une organisation et le besoin d’enlever son masque «parce qu’on est brûlé» créent une surreprésentation des profils neurodivergents en entrepreneuriat. Selon l’indice entrepreneurial québécois 2021, ces personnes seraient deux fois plus nombreuses que les personnes neurotypiques à se lancer en affaires. «Déjà que l’entrepreneuriat, c’est difficile. Si tu te lances par défaut pour devoir survivre, c’est d’autant plus ardu», souligne celle qui s’est toujours sentie trop ou pas assez. 

Grâce à leurs formations, les entrepreneuses désirent faire comprendre aux organisations qu’outiller et que mieux cerner les besoins des personnes neurodivergentes ne devrait pas incomber à 100% le gestionnaire à devenir spécialiste en neuroinclusion. «Le gestionnaire doit être apte à accueillir les témoignages et être ouvert d’esprit, poursuit Mélissa St-Louis. La personne neuroatypique doit également être capable de cerner ses besoins, car on ne vient pas avec un manuel d’instruction. Donc, au lieu de seulement former les gestionnaires, on désire donner des habiletés aux neurodivergents aussi.»

 

Entreprises, ne tardez pas trop

Pour Mélissa St-Louis, prendre conscience de son bassin d’employés neurodivergents — et être à l’écoute de leurs besoins — serait également profitable pour sa clientèle, qui est également composée de profils neuroatypiques. «Il y a assurément des choses que je peux adapter dans l’offre à ma clientèle pour rendre [ce bassin] plus accessible et me rendre plus attrayant. Plus j’ai une représentation visible dans mon organisation, plus je représente la clientèle que je dessers», soutient-elle, tout en invitant les dirigeants à ne pas partir à la chasse aux «Pokémon». 

De plus, «les jeunes qui arrivent sur le marché du travail en parlent davantage, ajoute-t-elle. Ils ont eu des diagnostics et ils avaient des mesures adaptatives à l’école. Le pont avec le marché du travail est immense et les entreprises ne sont pas prêtes pour ça. Ce n’est pas dans cinq ans qu’il faut commencer à y penser, c’est là.»

 

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Leur définition de l’EDI

Fran: Pour moi, il y a une notion très humaine, très ancrée dans la reconnaissance de mes propres émotions, de mes craintes, de mes interrogations, de mes besoins, dans la communication et la bienveillance. C’est surtout ça que je fais habiter dans l’EDI. L’inclusion, ça passe par me regarder moi-même, puis déterminer pourquoi je réagis de telle façon vis-à-vis telle personne. C’est faire un exercice d’introspection. Tout en sachant que dans les organisations, il y a toutes les notions de proactivité et d’accessibilité.

 

Mélissa: Il y a une confusion entre les termes égalité et équité, mais l’égalité n’est pas l’équité. Si la personne en a besoin, ce n’est pas la même réalité qu’une personne qui pourrait potentiellement en bénéficier, mais qui n’en a pas nécessairement de besoin. En tant qu’entreprise, ça se joue là-dedans.