Beaucoup d'économistes estiment toujours qu'une part significative de l'inflation s'explique par «un mélange entre des problèmes d'approvisionnement, une demande forte et un choc énergétique», autant de sujets sur lesquels les banques centrales ne peuvent pas agir. (Photo: 123RF)
Paris — La semaine a été mouvementée pour les banques centrales, prises d’un coup de chaud face à l’inflation persistante: plusieurs d’entre elles ont annoncé une hausse de leurs taux directeurs, au risque de pousser les principales économies vers la récession, alertent les experts.
«Cette semaine est une première, la plus folle dans mon expérience», résume Frederick Ducrozet, chef économiste chez Pictet Wealth Management.
Après une hausse annoncée mercredi par la Fed, la plus importante depuis 1994, la Bank of England (BoE) puis la Banque nationale suisse (BNS) ont embrayé jeudi, plus modérément, avant l’annonce d’une réunion d’urgence de la Banque centrale européenne (BCE).
«L’action de la BNS marque un changement significatif de politique, en partant d’une position jusqu’ici très accommodante», a souligné dans une note Michael Hewson, chef analyste marchés pour CMC Markets.
Seule exception parmi les économies avancées, la Bank of Japan (BoJ) maintient sa politique ultra accommodante, faisant tomber le yen à ses plus bas niveaux depuis plus de 20 ans par rapport au dollar, un atout dans un pays à l’économie largement tournée vers l’exportation.
Une position qui pourrait évoluer, estime cependant Stephen Innes, analyste chez SPI: la BoJ est très attentive à «l’insatisfaction des Japonais à l’égard de l’inflation et à la dépréciation du yen, elle pourrait chercher du coup à faire quelques ajustements pour soutenir la monnaie», estime-t-il.
Car la lutte contre l’inflation n’est pas seulement un sujet économique.
À un moment, les banques centrales ont réalisé «que l’inflation devenait un sujet politique lors de récentes réunions au FMI, marquées par une forme de pression de la part du politique, (le président américain) Joe Biden en tête, afin d’agir contre», rappelle M. Ducrozet.
Ces hausses auront-elles un effet? Beaucoup d’économistes estiment toujours qu’une part significative de l’inflation s’explique par «un mélange entre des problèmes d’approvisionnement, une demande forte et un choc énergétique», comme le résume Andrew Kenningham, économiste en chef chez Capital Economics, autant de sujets sur lesquels les banques centrales ne peuvent pas agir.
Risque de choc pour l’économie mondiale
Le risque à la clé est en revanche de voir les économies entrer en récession, avec une possible remontée du chômage «dont on voit les premiers signes aux États-Unis», souligne M. Ducrozet, pour qui «la Fed n’a jamais été aussi peu sensible à la croissance» qu’actuellement.
Poussée à agir, la BCE devra réussir à lutter contre l’inflation tout en maintenant un écart acceptable entre les différents taux d’emprunt souverains des pays membres de la zone euro.
«La BCE semblait jusqu’ici très détendue quant au risque de fragmentation (c’est-à-dire l’écart des taux d’emprunt souverains entre pays membres de la zone euro, NDLR), avant d’annoncer cette semaine une réunion d’urgence pour définir un plan d’action. Cela montre qu’elle a désormais conscience de ce risque», estime M. Kenningham.
«Avec un plan d’action complet, la BCE se donnera la possibilité d’un côté de stabiliser les marchés tout en augmentant de l’autre ses taux plus rapidement que ce qui a été annoncé», estime pour sa part M. Ducrozet.
Les pays émergents risquent d’être les victimes collatérales de l’action des banques centrales occidentales: le FMI s’inquiétait dès la fin avril des conséquences de hausses trop sévères des taux, alors que de nombreux pays ont vu leur dette s’envoler durant la crise sanitaire.
Certains pays sont déjà en difficulté, à l’image du Sri Lanka, mais également, dans une moindre mesure, la Tunisie, qui négocient des prêts actuellement avec le FMI.
Confrontée jusqu’ici à une croissance forte, mais une inflation très marquée (+73,5% sur un an en mai), la Turquie pourrait voir sa livre — déjà à un niveau record (à la baisse) de 17,30 livres pour un dollar — s’enfoncer un peu plus, avec pour conséquence un renchérissement des prix dans le pays et un retournement économique.
«Les pays exportateurs comme le Brésil s’en tireront mieux que les pays importateurs. Mais un dollar fort va compliquer (le remboursement de) la dette des pays émergents déficitaires, qui empruntent le plus souvent dans cette monnaie», prévoit M. Ducrozet.