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L’Institut Reuters jète une douche d’eau froide sur les médias

La Presse Canadienne|Publié le 15 juin 2022

L’Institut Reuters jète une douche d’eau froide sur les médias

L’importance accordée à Twitter par de nombreux médias, chroniqueurs et commentateurs semble démesurée par rapport à son utilisation réelle par la population, du moins du côté francophone. (Photo: La Presse Canadienne)

L’année 2021, que l’on pourrait qualifier d’année de la vaccination, a porté un dur coup à la confiance des Canadiens envers les médias d’information. Aussi, parallèlement à cette chute de confiance, les citoyens remettent de plus en plus en question l’indépendance des médias alors qu’une vaste majorité d’entre eux se méfient des réseaux sociaux où ils disent avoir trouvé de fausses nouvelles, ce qui n’est rien pour aider les médias traditionnels dont les nouvelles côtoient ces contenus douteux sur le web.

Les données de l’État de situation du Centre d’études sur les médias (CEM) et de l’enquête NETendance publiées récemment faisaient état d’une forte progression de cette confiance. Toutefois, ces données étaient basées sur des enquêtes menées, respectivement, en janvier et février 2021 et en septembre 2021.

Or, la plus récente des enquêtes, celle du volet canadien du Digital News Report de l’Institut Reuters (DNR), réalisée en janvier et février 2022, montre une chute marquée de cette confiance.

 

Baisse marquée de la confiance

Ainsi, après le bond favorable de 2021, la confiance envers «la plupart des nouvelles, la plupart du temps», telle que définie par le DNR, a reculé de sept points chez les francophones pour se situer à 47% au début de 2022 et de cinq points chez les anglophones, où elle est à 39%. Fait à noter, cet écart de confiance entre francophones et anglophones est une constate au fil des ans dans ce rapport. 

Bien que le niveau de confiance canadien n’ait jamais été aussi faible et que certains pays comme la Finlande (69%) ou l’Allemagne (50%) devancent largement le Canada, le score global de 42% des Canadiens demeure supérieur à celui de nombreux autres pays comme la Grande-Bretagne (34%), la France (30%) ou les États-Unis (26%).

Plusieurs autres éléments mis au jour par le volet canadien de l’enquête du DNR viennent s’aligner directement sur cette perte de confiance.

 

Écarts entre francophones et anglophones

Par exemple, lorsqu’on demande aux répondants si les médias d’information au pays sont indépendants du pouvoir politique, seulement un peu plus du quart d’entre eux répondent que oui. De même, près de 30% des répondants jugent qu’ils sont indépendants du pouvoir économique. Il s’agit, respectivement, de baisses de 10 points de pourcentage dans le premier cas et de neuf points dans le second, et ce, sur une période de cinq ans, puisque la dernière fois que le DNR a posé cette question était en 2017. 

Par contre, les résultats ont peu bougé du côté des francophones, dont la perception d’indépendance des médias est beaucoup plus positive que celle des anglophones, soit respectivement 38% et 37% qui les estiment indépendants d’influences politiques et économiques, contre 27% et 28% chez leurs compatriotes de langue anglaise. 

Par ailleurs, peu importe la langue, les répondants qui s’identifient à la droite politique sont plus nombreux à douter de l’indépendance des médias d’information que ceux de centre ou de gauche. Mais la tendance est encore plus marquée chez les anglophones de droite. 

Quant à la diversité de courants politiques exprimés dans les médias, la moitié des Canadiens n’en voient guère, affirmant que l’ensemble des médias d’information du pays sont politiquement très proches ou assez proches les uns des autres.

Quand on leur demande d’autre part si les médias sont davantage préoccupés par leurs propres intérêts que par ceux de la population en général, on obtient là aussi des résultats parlants. Les anglophones sont ainsi un peu plus nombreux à penser que les intérêts commerciaux (35%) et les opinions politiques (34%) des médias d’information prédominent sur les intérêts de la société plutôt que l’inverse (respectivement 29% et 26%). Chez les francophones, 29% déclarent que les entreprises de presse privilégient leurs intérêts commerciaux plutôt que ceux de la société, contre 25% qui pensent l’inverse. Ils sont aussi 26% à croire que les médias priorisent leurs propres opinions politiques devant les intérêts de la société, contre 27% qui pensent le contraire. Sans surprise, là aussi, les répondants qui s’identifient comme étant de droite sont encore plus nombreux à croire que les médias placent leurs propres intérêts devant ceux de leurs auditoires. 

 

Abondance de fausses nouvelles

Une autre part de la méfiance des Canadiens peut être attribuable au fait qu’ils rencontrent de plus en plus de fausses nouvelles sur le web. Les données sont inquiétantes puisqu’elles semblent s’accompagner d’une certaine désensibilisation. 

Ainsi, en 2022 – tout comme en 2021 d’ailleurs — 71% des Canadiens (73% des anglophones et 65% des francophones) ont dit avoir retrouvé des informations trompeuses en ligne, le plus souvent sur le coronavirus et sur la politique, au cours de la semaine précédant la tenue de l’enquête. Pourtant, au même moment, leur inquiétude envers les fausses nouvelles en ligne a légèrement baissé entre 2021 et 2022. L’enquête nous apprend en effet que 60% des Canadiens se disent préoccupés par la possibilité de démêler le vrai du faux sur internet, une baisse de trois points de pourcentage. Comme par le passé, les anglophones (63%, une baisse de 4 points de pourcentage) s’en soucient plus systématiquement que les francophones (48%, un repli de 3 points).

 

Méfiance marquée envers les réseaux sociaux

On ne se surprendra pas, dans ce cas, de voir que les Canadiens n’ont guère confiance dans les réseaux sociaux. Seulement 18% leur font confiance, en fait, comparativement à 26% qui font confiance aux sites de nouvelles. Cette dernière donnée est intrigante puisqu’elle montre un niveau de confiance significativement plus faible envers les médias d’information lorsqu’ils sont en ligne.

Malgré tout, la proportion de répondants qui paient pour des nouvelles en ligne et pour l’accès à des nouvelles payantes continue de progresser. Le taux de 15% constaté par le DNR 2022 est le plus élevé de l’histoire au Canada et pour la première fois, ce pourcentage est légèrement plus important chez les francophones (16%) que chez les anglophones (15%).

 

Éviter les (mauvaises) nouvelles

Après deux pénibles années de pandémie, qui était en pleine cinquième vague au moment du sondage, on ne s’étonnera pas d’apprendre que sept Canadiens sur dix (71%) disent avoir «activement évité» les nouvelles. C’est une hausse importante par rapport au sondage de 2019, soit bien avant que le mot pandémie soit devenu omniprésent, alors que ce pourcentage était de 58%. La hausse est présente tant chez les francophones que chez les anglophones et on constate que les femmes (74%) sont plus nombreuses que les hommes (67%) à faire exprès pour ne pas entendre de nouvelles.

On ne se surprendra pas d’apprendre que les deux principales raisons d’éviter les nouvelles sont leur effet potentiel négatif sur l’humeur et une couverture trop axée sur des sujets tels que la politique ou la COVID-19. Parmi les autres raisons, on note, en ordre décroissant, l’épuisement engendré par une trop grande quantité d’informations à assimiler et une couverture jugée subjective ou peu fiable. Fait à noter, le sondage a été réalisé avant le déclenchement de la guerre en Ukraine et il y a fort à parier que la couverture intensive de celle-ci aurait également été évoquée parmi les raisons d’évitement des nouvelles. 

 

La télé toujours en tête ; Twitter marginal

Le Digital News Report scrute chaque année la principale source de nouvelles des Canadiens et en 2022, c’est toujours la télévision, à environ 40%, qui remporte la palme, un pourcentage qui se maintient depuis 2020. À 25%, les médias sociaux continuent leur ascension, mais ils restent toujours derrière les sites ou applications de nouvelles, qui se maintiennent autour de 27% pour une troisième année.

Fait à noter, lorsqu’on parle des médias sociaux, l’importance accordée à Twitter par de nombreux médias, chroniqueurs et commentateurs semble démesurée par rapport à son utilisation réelle par la population, du moins du côté francophone. Les médias sociaux utilisés par les francophones pour lire, commenter ou partager des nouvelles sont, dans l’ordre, Facebook (50%), YouTube (31%), Messenger (27%), Instagram (12%), TikTok (10%), WhatsApp (8%) Twitter (6%) et Pinterest (6%). Snapchat, en queue de peloton à 0%, n’a apparemment aucun attrait pour l’information. 

Chez les anglophones, ce classement est complètement différent et distribué plus largement. Bien que les trois premières places soient aussi occupées par Facebook (34%), YouTube (30%) et Messenger (14%), Twitter occupe la quatrième place ex aequo avec Instagram (13%), suivi de WhatsApp (9%), Reddit et TikTok (7% chacun) avec LinkedIn (6%) en dernière position.

L’écoute de baladodiffusions, qui avait stagné entre 2020 et 2021, a repris son ascension. En 2022, 36% des répondants au pays disent avoir écouté au moins un balado dans le mois précédant l’enquête (41% des anglophones et 29% des francophones), une hausse de trois points sur l’année précédente.

Le DNR s’appuie sur un questionnaire en ligne administré par YouGov. Les données canadiennes sont calculées à partir d’un échantillon aléatoire de 2012 participants inscrits auprès de cette firme de sondage, dont 526 francophones. Un échantillon francophone autonome a par la suite été complété de façon à obtenir 1004 participants. Les données canadiennes ont été récoltées du 21 janvier au 21 février 2022. Les résultats sont pondérés pour représenter la population canadienne adulte.