Bitcoin: les banques s’imposent en intermédiaire de confiance
François Remy|Publié le 01 novembre 2022La plus importante au monde en termes d’activité dépositaire, BNY Mellon, qui est aussi pour mémoire la plus ancienne banque des États-Unis, s’est lancée dans la crypto. (Photo: 123RF)
LES CLÉS DE LA CRYPTO est une rubrique qui décode patiemment l’univers de la cryptomonnaie et ses secousses boursières, industrielles et médiatiques. François Remy se donne pour mission d’identifier les entrepreneurs prometteurs, de décoder les progrès techniques et d’anticiper les impacts industriel et sociétal de cette monnaie numérique.
Sacrilège! Les puristes y verront une terrible profanation de l’œuvre de Satoshi Nakamoto. L’invention du bitcoin laissait entrevoir un monde financier sans intermédiaire bancaire. Mais l’industrie des banques n’a pas dit son dernier mot et préfère canaliser les flux de capitaux, même s’ils servent à acheter de la crypto.
Imaginez une institution bancaire gardienne de 43 000 milliards de dollars américains devenir un guichet international pour le bitcoin. Il ne s’agit plus d’une vue de l’esprit en 2022. La plus importante au monde en termes d’activité dépositaire (custody), BNY Mellon, qui est aussi pour mémoire la plus ancienne banque des États-Unis, s’est lancée dans la crypto. Plus qu’un cap, un véritable symbole puisque BNY Mellon avait déjà accès à plus de 20% des actifs à investir à l’échelle de la planète. Elle y ajoute désormais sa plateforme dédiée à la garde d’actifs numériques.
L’actualité de cette vénérable enseigne reflète une tendance lourde dans la révolution des services financiers: quitte à être perturbée par l’innovation, l’industrie bancaire entend maîtriser les conditions en jouant le rôle d’intermédiaire pour les cryptoactifs. C’est-à-dire fournir les mêmes services sur ces monnaies digitales que ceux qu’elle offre aux gestionnaires de fonds pour leurs portefeuilles d’actions, d’obligations, de matières premières et autres actifs.
Voir aussi: Livre blanc: comment les banques kidnappent le bitcoin?
Des clients satisfaits pour seul objectif?
Le cas de BNY Mellon démontre que l’acception des cryptos en tant que marché légitime et source de nouvelles opérations (et donc de nouveaux revenus) poursuit son chemin dans l’économie réelle. Or, ces institutions bancaires ne font que répondre à la demande croissante de leurs propres gros clients — des grandes sociétés d’investissement.
Jusqu’ici les gestionnaires de fonds devaient conserver leurs BTC, ETH et autres formes d’argent tokenisé auprès d’entreprises crypto. Première des banques américaines d’importance systémique à stocker des actifs numériques et à permettre à ses clients d’utiliser une seule plateforme pour gérer tous leurs avoirs, BNY Mellon ouvre la voie à une accélération de l’adoption.
Pourtant, cette année a été marquée par le krach du marché crypto, qui a entraîné dans sa chute plusieurs entreprises de premier plan de la finance décentralisée (la Caisse de dépôt et placement du Québec en ayant même fait les frais). Mais quasiment tous les institutionnels de la finance réclament une infrastructure financière résiliente et évolutive, construite pour accueillir à la fois les produits financiers traditionnels et numériques, indiquait justement une étude menée plus tôt cette année par BNY Mellon. 91% des répondants se déclaraient intéressés par des investissements dans des produits tokenisés, tandis que 41% détenaient déjà des cryptomonnaies dans leur portefeuille aujourd’hui.
Les cryptos, meilleur argument commercial des banques?
Bakkt, Gemini, Paxos, Coinbase, PrimeTrust… le marché des prestataires crypto reste immature et très fragmenté. Ce qui laisse croire à une inévitable consolidation et donne aux acteurs de la finance traditionnelle débarquant sur ce marché un levier d’attraction pour les investisseurs institutionnels.
Ces fameuses «banques de conservation» (custodian banks) se trouvent dès lors bien positionnées pour continuer à gagner du terrain. Si certains investisseurs natifs de la crypto attendent avec impatience le jour où toute l’infrastructure des marchés de capitaux existera sur des blockchains interopérables, la communauté d’investissement classique se montrait moins optimiste. Un cercle vertueux en perspective pour l’industrie bancaire. «Nous considérons les cryptomonnaies comme le fer de la lance et nous reconnaissons l’opportunité qu’offre cette technologie, qui s’étend au-delà des actifs tokenisés et l’argent numérisé», dit Michael Demissie, directeur de l’unité d’actifs digitaux chez BNY Mellon.
Les banques commerciales, les enseignes de détail, n’auraient plus qu’à emboîter le pas à leurs grandes sœurs d’investissement. Une enquête menée dernièrement auprès des consommateurs a mis en évidence la demande de nouvelles fonctionnalités et solutions dans la banque numérique. En Amérique du Nord, 10% des consommateurs utiliseraient davantage le «Digital Banking» si les banques proposaient de nouvelles fonctionnalités et de nouveaux services intégrant… les cryptomonnaies.
Un phénomène paradoxal. Un sacrilège pour les puristes du bitcoin qui y verront une terrible profanation de l’œuvre de Satoshi Nakamoto. La cryptomonnaie originelle laissait entrevoir un monde financier sans intermédiaire bancaire. Mais l’industrie des banques n’a pas dit son dernier mot et préfère canaliser les flux de capitaux, même s’ils servent à acheter de la crypto.
Assisterions-nous à un racket en règle des cryptomonnaies par le secteur bancaire? Un faisceau de présomptions autorise à s’interroger. C’est d’ailleurs le thème que j’ai voulu développer dans l’essai Comment les banques kidnappent le bitcoin dont Les Affaires vous offre en primeur un extrait.