Minéraux critiques: nos producteurs résistent malgré les prix
François Normand|Publié le 05 Décembre 2023Plus tôt cette année, l’australienne Jervois Global, un producteur de cobalt et de nickel, a suspendu les opérations de sa mine de cobalt de l'Idaho, aux États-Unis, après l'effondrement des prix de ce métal. (Photo: 123RF)
Contrairement à certaines minières dans le monde, les principaux producteurs de minéraux critiques du Québec n’ont pas retardé des projets à la suite de la baisse de prix de ces intrants clés pour fabriquer des batteries de véhicules électriques, d’après les informations recueillies par Les Affaires auprès de plusieurs entreprises de l’industrie.
Appelée à commenter, l’Association minière du Québec (AMQ) — qui n’a toutefois pas sondé ses membres à ce sujet — indique pour sa part qu’elle n’a pas été informée par des minières que des projets avaient été retardés en raison de la baisse de prix des minéraux.
«Les sociétés minières ne prennent pas la décision de ralentir ou de démarrer un projet basé sur les prix à court terme. Elle analyse plutôt les marchés à plus long terme, tenant compte de la durée de développement du projet minier et de la date potentielle de mise en activité», fait remarquer la PDG de l’AMQ, Josée Méthot.
Le 21 novembre, le Wall Street Journal a publié un reportage révélant que des projets miniers étaient retardés dans le monde à la suite de la chute du prix de certains métaux associés aux batteries de voitures électriques.
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De gros joueurs affectés à l’étranger
Par exemple, l’américaine Albemarle, le plus grand producteur de lithium au monde, a fait part de ses inquiétudes quant au fait que les approvisionnements ne répondront pas à la demande vers la fin de la décennie, car les sociétés minières ne sont pas incitées à démarrer des projets.
Plus tôt cette année, l’australienne Jervois Global, un producteur de cobalt et de nickel, a suspendu les opérations de sa mine de cobalt de l’Idaho, aux États-Unis, après l’effondrement des prix de ce métal.
Livent, un producteur américain de lithium, a récemment publié des résultats trimestriels décevants, et a indiqué qu’il retardait l’expansion d’un projet en Argentine.
Cela dit, cette situation est surtout attribuable à des problèmes de construction, par exemple aux difficultés d’importer des pièces de rechange nécessaires, rapporte l’agence Reuters.
Parmi les minéraux qui ont perdu de la valeur, on retrouve le lithium, le graphite, le cobalt et d’autres métaux stratégiques comme le nickel, rapporte le quotidien américain.
Par exemple, depuis le début de l’année, les prix du lithium de qualité batterie ont chuté de plus de 60% , tandis que le nickel, le graphite et le cobalt ont perdu environ 30%, selon la firme britannique Benchmark Mineral Intelligence.
Le principal facteur à l’origine de ces reculs des cours est la reprise économique plus faible que prévu après les confinements dus à la COVID-19 en Chine, le plus grand consommateur mondial de métaux.
Le ralentissement de la demande de véhicules électriques pèse aussi dans la balance. Le constructeur automobile Ford a d’ailleurs récemment cité cette situation dans sa décision de réduire la taille du projet d’une usine de batteries dans le Michigan.
La filière du graphite
Pour tâter le pouls de l’industrie au Québec, Les Affaires a contacté six minières québécoises actives dans les filières du lithium et du graphite — il n’y a pas de mines actives ou de projets miniers dans le cobalt dans la province, selon les données du ministère des Ressources naturelles et des Forêts.
Une seule n’a pas répondu à nos demandes d’information, soit Corporation Lithium Éléments Critiques, qui a un projet minier (Rose lithium-tantale) dans la région d’Eeyou Istchee Baie-James.
Commençons par la filière du graphite, avec la québécoise Nouveau Monde Graphite (NMG).
L’entreprise a un projet de mine à ciel ouvert à Saint-Michel-des-Saints, dans Lanaudière (mise en service à la fin de 2025, voire au début de 2026), et elle exploite depuis 2021 une petite usine de purification dans le parc industriel et portuaire de Bécancour, près de Trois-Rivières.
Malgré la baisse des prix du graphite, Julie Paquet, vice-présidente, communications et stratégie ESG, affirme que NMG n’a ralenti aucun projet, tant au niveau de l’extraction que la deuxième transformation du graphite.
«Nous maintenons le cap sur la signature d’ententes offtake avec des clients de premier ordre pour appuyer le financement de notre phase 2», souligne-t-elle.
Ces ententes de vente sont contraignantes et s’étendent sur plusieurs années. Ainsi, les clients de NMG s’engagent à acheter une portion définie de la production de l’entreprise sur plusieurs années. «Nous avons déjà en main une entente de principe avec Panasonic Energy, et nous sommes à finaliser la version finale de cet offtake», précise Julie Paquet.
On garde aussi le cap du côté de l’ontarienne Northern Graphite.
Cette dernière exploite la seule mine de graphite en activité au Québec et en Amérique du Nord (excluant le Mexique), située à Lac-des-Îles, près de Mont-Laurier, dans les Laurentides.
Selon Pav Jordan, vice-président aux communications chez Northern Graphite, la décision de la Chine, le 20 octobre, d’imposer de nouveaux contrôles à l’exportation a même été favorable aux activités de l’entreprise au Québec. (Photo: Jade Trudelle)
Northern Graphite s’efforce d’ailleurs de publier de nouvelles estimations des ressources et des réserves de cette mine au premier trimestre de 2024. En juillet, en entrevue à Les Affaires, la directrice de l’exploitation, Kirsty Liddicoat, a déclaré qu’elle espérait que le forage puisse prolonger la durée de vie de la mine de 10 à 15 ans.
Selon Pav Jordan, vice-président aux communications chez Northern Graphite, la décision de la Chine, le 20 octobre, d’imposer de nouveaux contrôles à l’exportation a même été favorable aux activités de la minière au Québec.
«On vend également du graphite à des fins industrielles, et on peut dire que la demande de graphite a augmenté au second semestre après une baisse au premier semestre. Nos volumes de ventes à nos clients industriels ont augmenté de plus de 25% au troisième trimestre», précise-t-il.
Il rappelle que la demande projetée pour le graphite dans le monde fait en sorte que l’offre doit nécessairement augmenter, notamment dans les pays occidentaux, et qu’il faudra nécessairement construire d’autres mines.
«Nos plans visant à prolonger la durée de vie et la production de notre mine principale du Lac-des-Îles n’ont pas changé. Nous prévoyons de redémarrer notre mine Okanjande, en Namibie, en Afrique, dans les 12 à 14 prochains mois. Et nous espérons commencer la construction de notre projet Bissett Creek, en Ontario, en 2025», explique Pav Jordan.
La filière du lithium
Malgré la baisse des prix, les principales minières dans la filière du lithium au Québec n’ont pas non plus changé leur plan de match, à commencer par Nemaska Lithium, propriété de l’américaine Livent, de concert avec Investissement Québec.
«Livent n’a pas l’intention de ralentir son investissement dans Nemaska Lithium. Nous restons engagés envers Nemaska Lithium et le projet est toujours en bonne voie pour le premier spodumène en 2025, suivi par la production de volumes d’hydroxyde de lithium à Bécancour», souligne Sarah Maryssael, directrice de la stratégie chez Livent, qui est basée à Montréal.
Elle rappelle que Nemaska Lithium a signé une entente à long terme avec Ford, en mai 2023, qui comprend des «engagements contractuels fermes».
En mai, le producteur australien de lithium Allkem a fait une offre d’achat Livent, ce qui créera un nouveau géant de matières premières clés pour fabriquer des batteries de véhicules électriques, quand la transaction sera officiellement approuvée — sans doute d’ici la fin de l’année.
Allkem est déjà présente au Québec, où elle a débuté la construction d’une mine de lithium sur le territoire d’Eeyou Istchee Baie-James, par le truchement de sa filiale Galaxy Lithium.
Denis Couture, chef des opérations canadiennes, affirme que l’entreprise maintient le cap malgré la baisse des prix du lithium.
«Le projet est déjà financé et nous attendons seulement de recevoir l’approbation du gouvernement du Québec, ainsi que la signature de l’entente avec les Cris pour aller de l’avant avec le projet. La décision d’Allkem sera basée sur les prévisions des prix à moyen et à long terme, pas sur les prix à court terme», insiste-t-il.
C’est sensiblement la même situation chez Sayona, une filiale de l’australienne Sayona Mining, qui a relancé en mars la production de concentré de lithium au complexe Lithium Amérique du Nord (LAN), à La Corne, en Abitibi-Témiscamingue.
Bianca Galimi, gestionnaire communications et relations avec le milieu, indique que Sayona a dévoilé le 9 novembre son plan stratégique qui guidera ses activités dans les prochaines années.
«Sayona a mis en place une stratégie à quatre piliers pour maximiser la création de valeur à long terme. Nous croyons que cette stratégie permettra à l’entreprise de se positionner pour devenir un acteur de premier plan dans l’approvisionnement du marché nord-américain en produits chimiques à base de lithium, essentiels pour le secteur des véhicules électriques et des batteries.»
Un de ces piliers consiste à accroître les ressources et à élargir l’estimation des ressources minérales présumées et indiquées de la société, par des programmes de forage à LAN et à Moblan — ce projet au nord de Chibougamau est détenu en partenariat avec la SOQUEM, une filiale d’Investissement Québec.
Sayona compte aussi poursuivre ses travaux d’exploration au Québec.