En finir avec la règle du plus bas soumissionnaire


Édition du 12 Octobre 2022

En finir avec la règle du plus bas soumissionnaire


Édition du 12 Octobre 2022

Par François Normand

Paul Le Brun, PDG de la montréalaise Brault et Bouthillier (Photo: courtoisie)

MOIS DE LA PME. Paul Le Brun, PDG de la montréalaise Brault et Bouthillier (B & B), qui commercialise des produits ludiques, éducatifs et pédagogiques pour les jeunes, n’en revient toujours pas. En février, sa PME a perdu un contrat public de 1,2 million de dollars au profit de la filiale d’une entreprise américaine pour une différence de 7000$, et ce, pour un contrat impliquant du matériel d’éducation destiné à une commission scolaire de la Montérégie.

Selon les informations fournies par l’entreprise B & B, qui exploite deux boutiques, à Montréal et à Longueuil, en plus d’avoir une usine dans l’arrondissement de Saint-Hubert, la soumission qu’elle a présentée totalisait 1 237 200,57$.

Celle de Spectrum Nasco, une filiale de l’américaine Nasco Education, du Wisconsin, et dont la filiale canadienne possède un siège social en Ontario, en plus d’exploiter un centre de distribution à Boucherville, s’élevait quant à elle à 1 230 013,00$.

Soit une différence de 7187,57$.

Même s’il se dit en faveur de la concurrence étrangère, Paul Le Brun estime néanmoins qu’il doit y avoir un vrai débat sur la prépondérance de la règle du plus bas soumissionnaire conforme dans la province. « C’est un peu un cri du cœur pour moi et les autres entreprises du Québec », confie le patron de B & B. Selon lui, les approvisionnements du secteur public devraient tenir compte davantage de facteurs comme la qualité des produits, la création d’emplois ou les retombées fiscales locales, même si cela peut coûter un peu plus cher.

La règle du plus bas soumissionnaire, estime-t-il, est incohérente avec le discours de Québec, qui dit vouloir favoriser les achats locaux pour stimuler l’économie — surtout depuis la pandémie de COVID-19.

« C’est déconnecté par rapport au projet de société que l’on veut », souligne l’entrepreneur.

 

D’autres exemples de contrats perdus

D’autres entreprises tiennent le même discours que lui et critiquent vertement la règle du plus bas soumissionnaire, qui serait beaucoup plus stricte au Québec qu’ailleurs au Canada et en Europe.

AéroNolisement, un petit transporteur aérien de Québec, a vécu la même situation que B & B, selon Nathalie Tousignant, présidente du conseil d’administration de l’Association québécoise du transport aérien et présidente d’Octant Aviation, une entreprise de services-conseils spécialisée en transport aérien.

Au terme d’un appel d’offres auquel ont répondu quatre entreprises, incluant AéroNolisement, le ministère des Transports du Québec a octroyé un contrat de desserte aérienne à Air Charter Service (ACS), une société ontarienne dont le siège est situé à New York.

Dans une lettre envoyée au ministre des Transports, François Bonnardel, en mai 2021, pour déplorer cette situation, Nathalie Tousignant souligne que la soumission d’ACS s’élevait à 805 200$, tandis que celle d’Aéronolisement — le deuxième plus bas soumissionnaire conforme — totalisait 841 800$.

On parle ici d’une différente de 36 600$.

En entrevue à Les Affaires, Nathalie Tousignant affirme que la différence de prix est relativement minime et que les activités d’AéroNolisement sont plus structurantes pour le Québec. « C’est sûr que l’entreprise génère plus de retombées économiques ici qu’Air Chater Service », dit-elle.

 

Un mode d’adjudication qui divise

La Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ), qui représente plus de 50 000 entreprises, critique elle aussi la règle du plus bas soumissionnaire dans le mémoire qu’elle a présenté en mars dans le cadre du projet de loi no 12 visant principalement à promouvoir l’achat québécois et responsable par les organismes publics.

Selon la FCCQ, Québec fait le choix des économies à court terme, plutôt que de privilégier la performance et la durée de vie des projets.

Une entreprise présente dans le secteur de la construction — à qui on a accordé l’anonymat, car elle fait parfois affaire avec le secteur public — déplore également que seul le prix soit le critère déterminant, et que les critères de sélection ne tiennent pas compte « de la qualité des propositions, des solutions techniques innovantes, de la régionalité d’un projet, etc. »

Interrogés par Les Affaires, le ministère du Conseil exécutif et le Secrétariat du Conseil du trésor (MCE-SCT) estiment pour leur part que l’octroi des contrats au plus bas soumissionnaire conforme « est un mode d’adjudication parmi plusieurs autres », « qui a son utilité et qui doit être conservé », mais que le recours à d’autres modes par les organismes publics « sera encouragé et soutenu ».

Pour certaines acquisitions, c’est toutefois la règle à privilégier, ajoute-t-il. C’est par exemple le cas lors de l’achat de biens courants, où la qualité des matériaux et des produits est standardisée et ne constitue pas un élément distinctif entre les offres des fournisseurs.

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